L’univers des crypto-actifs a connu un nouveau séisme le 10 octobre dernier, lorsque le stablecoin USDe a brièvement perdu sa parité avec le dollar américain. Coté à près de 1 dollar, il s’est effondré jusqu’à 0,65 dollar sur Binance, déclenchant une série de liquidations forcées, des pertes massives, et une réaction immédiate de la plateforme qui a versé 283 millions de dollars en compensation. Un épisode brutal, aux contours encore flous, mais qui soulève de sérieuses questions sur les mécanismes internes des exchanges comme sur la solidité des actifs dits « synthétiques ».
Une déconnexion brutale
Selon Ethena Labs, créateur du dollar synthetique USDe, l’événement s’explique surtout par une défaillance technique propre à Binance. Le fondateur Guy Young insiste sur le fait que l’USDe, garanti par des actifs sous-jacents, a continué de fonctionner normalement sur les autres plateformes, y compris Curve, Fluid et Uniswap. Plus de 2 milliards de dollars d’USDe ont été échangés ou rachetés dans les 24 heures, avec des écarts de prix n’excédant pas les 30 points de base.
Mais sur Binance, le prix a chuté, brutalement et uniquement sur ce marché, en raison d’un oracle défectueux utilisant les données de son propre carnet d’ordres, moins liquide que les marchés externes. Binance a confirmé que la baisse de l’USDe, mais aussi celle de BNSOL et wBETH, a conduit à des liquidations forcées, frappant les utilisateurs ayant utilisé ces actifs comme collatéral.
Un scénario de manipulation ou simple faille d’infrastructure ?
Au sein de la communauté crypto, certains soupçonnent une attaque coordonnée. Un trader connu sous le pseudonyme d’ElonTrades affirme que des acteurs malintentionnés auraient profité d’une fenêtre de vulnérabilité, liée au système de « Unified Account » de Binance. Celui-ci permet d’utiliser plusieurs actifs comme garantie, sans s’appuyer sur des oracles externes, créant un angle d’exploitation.
Ces acteurs auraient déversé jusqu’à 90 millions de dollars d’USDe sur Binance, précipitant sa chute, tout en prenant des positions vendeuses sur Bitcoin et Ethereum sur d’autres plateformes comme Hyperliquid. Résultat, un profit estimé à 192 millions de dollars, et une contagion qui a vidé près de 20 milliards de dollars de positions ouvertes dans l’ensemble du marché.
Binance a réagi en moins de 24 heures. La plateforme a indemnisé les utilisateurs affectés, à hauteur de 283 millions de dollars, en deux vagues. Elle a précisé que les remboursements couvraient les pertes sur les produits de marge, de prêts et de contrats à terme, durant une fenêtre très précise entre 21h36 et 22h16 UTC, soit au cœur de ce que certains appellent déjà le « Vendredi noir » de la crypto.
Ce remboursement exceptionnel traduit surtout une volonté de protéger la marque, en particulier dans un climat de méfiance grandissante à l’égard des plateformes d’échange traditionnelles. Le montant, bien que conséquent, reste dérisoire pour Binance, et que l’opération vise surtout à restaurer la confiance des utilisateurs, au moment où les DEX gagnent en popularité.
Des mesures techniques annoncées, mais une confiance à reconstruire
Pour éviter que ce type d’incident ne se reproduise, Binance a dit vouloir abandonner l’utilisation de ses propres données comme source d’indexation pour les actifs utilisés comme collatéral. À partir du 14 octobre, les oracles externes devraient devenir la norme pour ces produits, selon les promesses de la plateforme.
L’épisode a révélé une faille structurelle dans la gestion des actifs synthétiques, en particulier lorsqu’ils sont utilisés sur des plateformes qui privilégient la liquidité locale à la qualité de l’information de marché. Il a aussi remis en évidence le risque systémique que représente une défaillance isolée, dans un écosystème interconnecté, où la moindre erreur technique ou stratégie abusive peut déclencher une réaction en chaîne, dévastatrice.
Avec le depegging de l’USDe, Binance a peut-être évité une perte de confiance massive, mais la question reste combien de chocs le marché pourra-t-il encore encaisser, sans que la structure même de la finance décentralisée ne soit remise en cause ?

